vendredi 20 septembre 2013

Biographie d'Alain-René Lesage (1668-1747) et origine de l'Opéra-Comique (1700)





Alors que je n'étais qu'en première, notre professeur de Français nous demanda de lire un roman picaresque parmi une liste d'extraits qui nous était proposée. L'œuvre qui attira alors mon attention était celle d'Alain-René Lesage, Gil Blas de Santillane (1715 à 1735) qui avait un style vif, moderne et doté d'une trame écrite avec simplicité, ce qui dénotait des autres ouvrages proposés. Quelle fut ma désillusion, lorsque je découvris dans diverses librairies, que l'œuvre était peu à peu tombée dans l'oubli,  et n'était donc plus réédité depuis des années. Deux ans plus tard, ayant encore le nom de cet ouvrage en tête,  je décidai de l'obtenir directement auprès de particuliers par le biais d'internet. Ma démarche fut couronnée de succès, si bien qu'à peu de frais, j'obtins l'œuvre complète. Je fus alors étonné de voir avec quelle simplicité on pouvait obtenir des éditions assez, voire très anciennes. En effet, j'achetai trois tomes de l'œuvre de trois éditions différentes chez trois individus différents.

Une première édition de 1909 qui me fournit l'histoire de Gil Blas des livres 1 à 7, la seconde de 1962 comprenant les livres 7 à 12 et enfin l'édition de 1837 avec les livres 6 à 12. J'avais ainsi obtenu par erreur deux fois la seconde partie des aventures de Gil Blas et j’ai décidé, il y a seulement quelques jours, d'entreprendre la lecture de cet auteur bien mystérieux, aussi bien pour mes contemporains, que pour moi-même (l'œuvre étant souvent confondue avec celle de Victor Hugo, Ruy Blas (1838) qui n'a comme vous pouvez vous en doutez rien à voir).

Voici une définition du roman picaresque (Wikipédia) : Le roman picaresque (de l'espagnol picaro, « misérable », « futé ») est un genre littéraire né en Espagne au XVI siècle et qui a connu sa plus florissante époque dans ce pays.
Un roman picaresque se compose d'un récit sur le mode autobiographique de l’histoire de héros miséreux, généralement des jeunes gens vivant en marge de la société et à ses dépens. Au cours d’aventures souvent extravagantes supposées plus pittoresques et surtout plus variées que celles des honnêtes gens, qui sont autant de prétextes à présenter des tableaux de la vie vulgaire et des scènes de mœurs, le héros entre en contact avec toutes les couches de la société.

Je décide donc de faire le portrait d'Alain-René Lesage à partir : de l'édition de 1909 qui comprend sa biographie par Octave Blondel, du site Canal Académie où François Pierre Nizery y décrit sa vie et grâce à des infos glanées çà et là dans les méandres de la toile. Un portrait qui comporte des erreurs assez fréquentes ce qui ne facilite pas ma tâche. Je ne m'attarderai que sur ce qu'il me semble intéressant de noter.

Alain-René Lesage est né le 8 Mai 1668 en Bretagne. Son nom est parfois noté à tort "Le Sage". Il perd sa mère à l'âge de 9 ans et son père à 14 ans, orphelin, c'est son oncle et un autre tuteur qui sont en charge de l’élever, à son plus grand malheur, car tous deux dilapident l'héritage qui aurait dû lui revenir de droit. Ce fût le premier élément de sa vie qui lui valut une profonde haine envers les traitants et les financiers du pays. En 1690, il part étudier la philosophie et le droit à Paris et devient avocat en 1695. Il quitte alors la capitale et en plus de son emploi au barreau, il fait une traduction libre des Lettres Galantes écrites par Aristérètes (IV siècle de notre ère). Il se marie et en 1698, il se consacre totalement à l'écriture et revient sur Paris.

C'est lui, le premier auteur à vivre exclusivement de sa plume ! Belle performance quand on sait à quel point subvenir à ses besoins est aléatoire dans le métier de l'écriture. En fait, Lesage ne vécut pas tout de suite de son art, à partir de cette année jusqu'en 1715, date de la mort de son bienfaiteur, l'abbé de Lyonne (le fils du défunt ministre des affaires étrangères), lui alloue une rente de 600 livres par an.

Pour vous donner une idée, cette somme qui équivaut aussi à 600 francs de l'époque, permettait par exemple d'acheter 6 chevaux ou 3 petites maisons comprenant une cheminée, deux portes et deux fenêtres. Cette somme correspond au salaire qu'aurait un adjudant donc entre le sergent et le lieutenant ou encore correspond à trois fois la rente d'un aumônier d'une grande maison. Oui, vous l'aurez compris pour nourrir une famille de quatre enfants c'est loin d'être immense, mais cela suffit à son indépendance. Vous aurez surement remarqué aussi, à quel point un cheval valait cher à l'époque ou plutôt, à quel point un petit logement était peu onéreux.

En plus de la rente, l'abbé Lyonne lui apprit l'espagnol et lui fit découvrir cette littérature, ce qui conditionna toute sa vie son écriture, s'inspirant très fréquemment d’œuvres hispaniques.

Autre point intéressant et très surprenant, Lesage eut 4 enfants dont une fille qui est la seule à ne pas être nommée, contrairement aux trois fils dont on connait leur nom et leur activité. On sait juste qu'elle s'est dévouée toute sa vie aux soins de son père. La société n'accordait donc pas d'importance à la gent féminine ? C'est fort probable, pourtant dans son ouvrage le plus célèbre, Gil Blas de Santillane, les femmes semblent être les égales des hommes, bien sûr, pas sur les mêmes points. La femme a le pouvoir de la beauté et de la sagesse et passe sa vie à accepter ou non les faveurs de prétendants riches comme pauvres. Et cela qu'elle soit simple fille de fermier, bourgeoise, comédienne ou noble. En revanche, elle ne peut jamais obtenir un poste important, quel qu'il soit, son mari subvient à ses besoins et elle, vaque à ses occupations. Elle a un rôle d'image dans la famille, lors des soirées, c'est elle qui instaurera un climat convivial et qui rivalisera en charmes et en verves avec les invités. En revanche, il est mal vu qu'elle soit trop apte à la philosophie, Lesage sous les traits de Gil Blas, trouve qu'il est dommage qu'une belle femme soit si compétente et que ce n'est pas là sa place. Elle peut être instruite et sage, mais ne doit pas attachée trop d'importance à la pensée théorique et à la rhétorique. Je ferme la parenthèse.

En 1702, Lesage, comme cela se faisait beaucoup à l'époque, plutôt que de traduire un roman ou une pièce, il l'adapte et se l'approprie, il imite ainsi deux pièces espagnoles. En 1704 il imite Les Nouvelles Aventures de Don Quichotte de la Manche, un texte espagnol écrit en 1614 par Bartholomé de Argensola aussi nommé Luis de Aliaga ou Avellaneda. Les pseudonymes semblaient être très usités au XVII siècle.

Enfin, en 1707, voyant que ses imitations ne lui rapportent rien car il ne gomme pas suffisamment les faiblesses des pièces originales, il écrit sa première pièce : Crispin rival de son maître. En même temps, il imite une autre pièce Don César Ursin. Les deux pièces sont représentées durant la même période. Et de manière fascinante, cette dernière fut très bien accueillie par la cour alors que son œuvre originale fut boudée au contraire. Le jugement du peuple, lui,  fut l'exact opposé de celui de la cour. C'est d'ailleurs ce jugement qui perdura à travers les siècles, puisque Don César Ursin tomba dans l'oubli.
C'est de cette expérience que Lesage su qu'il ne fallait pas écrire en visant un public, mais rédiger avec le plus d'indépendance possible, car les milieux et les gens varient incroyablement.
Toujours, la même année il obtient son premier succès avec Le Diable Boiteux, l'adaptation innovante de Diablo Cojuelo de Velez de Guevara (1641). L'œuvre fut tellement bien reçu, que pour sa deuxième édition, un jour qu'il ne restait plus qu'un exemplaire en librairie, deux jeunes gens dégainèrent et s'affrontèrent à l'épée pour savoir qui des deux obtiendrait ce graal.

Un autre événement dans sa vie montra la droiture de ses convictions. En 1708, après avoir travaillé dans les finances puis avoir arrêté par dégout, ce qui fut après les actions de ses tuteurs la seconde raison d'avoir une aversion des financeurs, il écrivit Turcaret. Cette satire impitoyable du monde de la finance, tombe parfaitement, car c'est la période où les maltôtiers (percepteur de la maltôte, un impôt) dévalisaient la France, ce qui provoque chez le peuple aussi bien que chez la noblesse une haine de ces hommes d'argent. Ces derniers tentèrent de la faire interdire pendant une année, allant même jusqu'à proposer 100 000 francs pour que Lesage retire sa pièce. Mais bien que la somme soit monstrueuse et que Lesage et sa famille vivent très modestement, il sacrifie sa finance plutôt que de renoncer au plaisir de bafouer les gens des finances en les montrant ridicules et odieux. Lesage est un incorruptible, prêt à tout afin de rester un anticonformiste. Par exemple, il ne présenta jamais sa candidature à l'académie française bien qu'il aurait eu de grande chance d'y rentrer. Après cela, sur ordre, du fils de Louis XIV, la pièce fut représentée le 14 février 1709.

Par la suite, la Duchesse de Bouillon lui offre sa protection et l'engage pour que Lesage lise sa pièce chez elle. Suite à la durée d'un procès particulièrement long qu'il perdit, il arriva au salon de la dame avec deux heures de retard et malgré qu'il s’excusa de son mieux, il fut reçu avec hauteur et reproche. Voici ce qu'il répondit :
"Madame, je vous ai fait perdre deux heures, il est juste de vous les faire regagner. Je vous jure, avec tout le respect que je vous dois, que je n'aurai point l'honneur de vous lire ma pièce."

Il tira sa révérence et partit malgré les efforts du personnel pour le faire revenir. Collé, l'homme qui rapporta cette anecdote explique avec raison :
"Si les auteurs étaient moins bas, les protecteurs ne seraient point insolents ; on n'écrase que les bêtes qui rampent".

Car oui, les dramaturges devaient se battre pour que les comédiens acceptent de bien vouloir faire une représentation de leur pièce, les nobles ne les traitaient pas mieux. Lesage affiche d'ailleurs une grande haine envers les comédiens, qu'il exprime dans ses romans.

En 1710, afin d'étoffer son savoir et de diversifier sa créativité, il s'inspire grandement d'ouvrages arabes et persans.

En 1712, déçu par les comédiens et divers refus de représentation, il quitte le Théâtre Français pour se tourner vers le Théâtre de la Foire, il veut alors faire de ce Théâtre un genre à part entière.

Le Théâtre Français (ou Comédie-Française) est une institution culturelle française fondée en 1680 et qui se déroule dans diverses salles de Paris.

Le Théâtre de la Foire englobe différentes foires composées de non professionnelles et a lieu en extérieur.

Wikipédia : Des marionnettes et danseurs de cordes, les acteurs forains en vinrent progressivement à jouer de véritables petites comédies, souvent écrites par des auteurs de renom et de talent. Après l'expulsion des comédiens italiens en 1697, les acteurs forains s'enhardirent et ils s'emparèrent de leur répertoire. La professionnalisation des spectacles de la foire commença à inquiéter la Comédie-Française, qui y vit une dangereuse concurrence. Elle essaya par tous les moyens de conserver ses privilèges et, après de nombreux procès menés devant le Châtelet et le Parlement de Paris, elle obtint l'interdiction pure et simple des pièces dialoguées.
Mais c'était sans compter sur les ruses que les acteurs forains étaient capables de déployer pour déjouer les interdictions dont ils étaient victimes. Ainsi, se voyant interdire tout dialogue sur les tréteaux, les forains imaginèrent d'abord, en 1707, de ne jouer leurs pièces que sous la forme de monologues, ou encore de parler à un muet, à un interlocuteur placé dans les coulisses, voire à un animal. Louis Fuzelier, un dramaturge de l'époque proposa de représenter les pièces sans paroles par le biais des marionnettes. Cela eut un tel succès que le régent lui-même se rendit à l'un des spectacles.
Plus tard, ils inventèrent un jargon évoquant un bas-latin quelconque (Pendao le medicinao ! : pendons le médecin), mais qui n'entrait bien entendu pas en concurrence avec la langue française dont les Comédiens-Français revendiquaient seuls l'usage ; ensuite, ils en vinrent à inscrire tous les dialogues sur des « écriteaux  », sortes de rouleaux de papier sur lesquels on se contentait d'inscrire les paroles. Voici comment le commissaire de police de Paris Ményer décrivit la scène en 1718 :
« Paroissent ensuite trois archers qui veulent arrêter Arlequin, lequel, en jouant de sa lyre, les charme et lui donne lieu de se sauver, ce qui compose le premier acte qui est joué tant par les acteurs que par les spectateurs par des écriteaux descendant d'en haut sur lesquels sont écrits des vaudevilles qui composent la pièce : les acteurs font les gestes et par différentes figures pantomimes expriment ce qui est écrit dans les écriteaux, et les spectateurs chantent et dans quelques endroits les acteurs, pour lier les couplets, disent quelques paroles, et quand les écriteaux descendent, quatre violons, une basse, un hautbois sonnent l'air du vaudeville marqué dans les écriteaux et que le public chante en vaudeville ».

Les Comédiens-Français n'eurent dès lors plus de raisons objectives de s'acharner contre les acteurs forains puisque leurs revendications étaient satisfaites. Ce fut alors au tour de l’Académie Royale de Musique de crier à la concurrence : elle était en effet détentrice unique du droit de chanter, de danser et d'accompagner les pièces en musique dans tout le royaume de France. Le rapport de force se joua différemment ici et, très vite, les directeurs de l'Opéra, en proie à des déroutes financières grandissantes, tentèrent de sauver la mise en vendant à deux exploitants forains le droit de donner des spectacles chantés. C'est ainsi qu'en 1714 naquit l'Opéra-Comique ou comédie vaudeville ou Comédie mêlée d'ariettes, dont Alain-René Lesage en serait l'inventeur.

Nombre sont ceux sur la toile qui disent que ce genre d'Opéra serait apparu en 1714. Mais d'après Octave Blondel, c'est absolument faux ! En effet, de même que l'origine de l'Opéra, l'Opéra-Comique ne serait pas né en France mais en Italie. Et il serait né pendant l'année 1700, soit 14 ans avant les pièces de Lesage. En revanche, il fut le premier qui donna à ce genre nouveau une forme singulière. Il en épura le style et en bannit les grossièretés ainsi que les indécences. Seul ou accompagné de D'Orneval et Fuzelier il donna plus de 100 pièces au Théâtre de la Foire.

Ainsi de 1712 à 1735, Lesage s'occupe du Théâtre de la Foire. Parallèlement il se lance dans les romans avec son œuvre majeure Gil Blas de Santillane sorti en 1715 puis 1724 et 1735 pour ses deux suites. Ainsi donc, il n'est pas plus dramaturge que romancier mais se sert de l'un pour améliorer l'autre, il fait intervenir de la théâtralité dans ses romans : parfois un personnage extérieur au héros prendra le temps de raconter sa vie, cassant ainsi la narration portée par le héros Gil Blas, ce qui enrichie grandement la trame. Son regard très critique et son utilisation à outrance de l'ironie satirique sont les caractéristiques qui le rendent si singulier.

1 commentaire:

  1. Intéressantes les explications sur le mode de vie et le travail des artistes de cette époque qui est très peu connue... Merci de nous les faire découvrir !

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