samedi 7 septembre 2013

Horses album de Patti Smith (1975)

Patti Smith & Robert Mapplethorpe

Je viens de terminer Just Kids, ouvrage autobiographique de Patti Smith sorti en 2010 et j’ai donc eu envie d’écouter son premier album Horses. J’avais écouté Dream of life (1988), un autre de ses albums, il y a quelques temps et il m’avait profondément ennuyé, je trouvais qu’il ne se passait pas grand-chose.  

Cet album de ce que j’ai pu voir est le plus réputé de sa discographie, comme très souvent chez les artistes musicaux le premier album atteint l’excellence, un niveau qui ne sera jamais atteint malgré la quantité d’œuvres qui suivront. Je pense par exemple au premier album de Joan Baez, Nick Drake, Rickie lee Jones, Cali ou encore Keziah Jones.

Plaçons-nous dans le contexte lors de la création de l’œuvre. Patti Smith vît en tant qu’artiste en plein New York depuis environ 10 ans, elle gagne sa vie en vendant des critiques d’albums, certains de ses poèmes ou en présentant des dessins dans une exposition ou deux. Mais surtout en travaillant en tant que vendeuse dans des magasins, elle est accompagnée de Robert Mapplethorpe, son ex mais avant tout son ami, comme un frère. C’est un artiste très complet, dessinateur, peintre, façonneur d’œuvre à base de récup tout comme elle et enfin photographe. De fil en aiguille, ils ont pu pénétrer dans la sphère des artistes : celle de chanteurs renommés, de réalisateurs de film ou de comédies passant même à Broadway, de peintres ou de photographes.
Robert l’a toujours poussé à faire de la chanson car selon lui, elle chante très bien. Les seules scènes qu’elle a pu faire étaient des rôles dans des pièces de théâtre et des lectures de ses poèmes dans des bars ou des églises. Par la suite, ses lectures seront accompagnées par Lenny Kaye à la guitare électrique, puis finalement elle décidera de monter un groupe à l’âge de 26 ans. Elle commence donc la musique à ce moment-là. Et seulement trois ans après, elle, Lenny Kaye, Ivan Kral à la basse et Jay Dee Daugherthy à la batterie sortiront l’album Horses.

Cet album est une petite bombe et je pèse mes mots. On ressent une incroyable énergie issue du passé de Patti, comme si toutes les frustrations et difficultés accumulées (vivre de ses œuvres en tant qu’artiste à NY était extrêmement compliqué) étaient larguées sous la forme d’une force positive et saine. C’est d’autant plus surprenant que dans son ouvrage, Patti Smith donne une image d’elle introvertie, complexée et peu sûre d’elle, alors que l’album nous montre tout le contraire. Elle a survécu, peut-être parce qu’elle était un peu plus jeune, à une époque ou énormément de génies de la musique mourraient les uns après les autres : Jim Morrison, Jimi Hendrix, Brian Jones (fondateur des Rolling Stones), Janis Joplin etc… D’une certaine manière, elle porte avec d’autres groupes, comme les Velvet, l’étendard d’une génération décimée par les drogues et l’excès, elle insuffle par son Rock véloce, un hommage à ces artistes mort trop tôt. Certains évoquent sa musique comme étant du Proto-Punk, c’est-à-dire que sa musique aurait inspiré le punk des années qui suivirent.

Au premier abord ce qui choque, c’est son aisance, sa diction très personnelle et qui semble pourvu d’une confiance sans faille. Elle chante chaque phrase avec tant d’originalité et de cœur que c’est impossible à reproduire. Elle est impressionnante, elle semble capable d’improviser sur n’importe quoi. La musicalité géniale, libre, motivante et énergique. Dès le premier morceau on se rend compte que la poète introvertie sort de sa chrysalide pour montrer les dents. Hyper rythmé, hyper dansant, hyper prenant et des paroles légères, insignifiantes à part le « jesus died for somebody's sins but not mine. », issu d’un de ses poèmes, tel est le premier titre, Gloria. Redondo Beach est plus posé, toujours habité par la voix de Patti, elle évoque le suicide d’une jeune femme mais pas avec tristesse dans le ton, plutôt avec colère. Instrumentalement c’est sobre, originale par sa subtilité. Birdland débute par une joli composition au piano, Patti parle, elle raconte les conséquences de la mort d’un père, sa voix est plus douce, plus jeune, plus sensuelle, le morceau s’accélère, elle chante avec sa voix éraillée utilisant son vibrato à chaque fin de phrase, elle entre dans une sorte de transe, elle semble habitée par son passé, son histoire et continue à raconter la mort de ce père. Enfin, elle se lâche complétement, la balade hypnotique du début n’est plus qu’un lointain souvenir et laisse sa place à des gesticulations d’un rythme effréné, intense comme jamais. Le morceau retombe en prenant un rythme mélancolique, moins puissant mais toujours aussi intense…
Le titre qui suit, Free money, débute par la voix cassée de Patti, cassée et attristée, la misère est difficilement supportable. Mais quand elle quitte la réalité pour sombrer dans le monde du rêve, le rythme s’accélère, au lieu d’encaisser et d’accepter, elle se relève et se bat et progressivement l’argent coule à flot, on peut subvenir à tous ses besoin, céder à tous ses caprices. Alors, nous auditeurs, nous souhaitons fêter ça avec elle, en même temps que le morceau oublie ses limites, on tend à s’oublier. On fait n’importe quoi, on se dépense dans cette opulence de richesse et de finesse, jusqu’à avoir le cœur qui bat à tout rompre et les muscles asphyxiés par le manque d’oxygène.
Les chansons se suivent et ne ressemblent pas, Kimberly est posé, sucré, moins intense, les textes sont toujours autant travaillé, mais ce morceau est certainement le moins prenant de l’œuvre.
Comme souvent, chaque instrument joue un rôle, comme personnifié ou en tout cas associé à un état d’esprit. Chez Break it up, la basse est envoutante et le piano attristé, mais quand la guitare et la batterie se lève : un esprit combattif s’en dégage pendant que Patti se transcende et crie comme une damnée.
Après une entrée en matière assez conventionnelle par sa lenteur, la suite est hyper pulsée, psychédélique dans les paroles. Dans Land, Patti raconte l’histoire de Johnny qui semble être en plein trip : il voit des chevaux partout, des clous argentés enflammés, il fait l’alligator puis le watusi (bœuf à cornes africain) pour enfin s’allonger dans un cercueil de sperme. Le langage devient imagé, mélangeant expressions et réalité : lorsqu’il « entre dans une mer de possibilités », toujours dans un rythme batterie/guitare/piano/basse, vif, épuisant. Très poétique, la conteuse qu’est Patti nous raconte une histoire détaillée et fantastique qui s’arrête après une dizaine de minutes.
Elegie est sombre, malsain, il termine l’album avec des sons faux, malgré l’intensité, il y a de la déchéance dans la voix. On passe du trip heureux au bad trip, la réalité pas encore envisageable est difficile à percevoir et à supporter.

Quelle œuvre ! Trois années après s’être lancée dans la musique, Patti Smith et ses amis arrivent à créer un monstre d’inventivité et de richesse, on sent qu’elle avait tout cela dans le sang depuis des années bien avant ses débuts musicaux. C’était en elle et elle nous l’offre avec ferveur et sincérité.

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