lundi 14 octobre 2013

Program Music I album de Kashiwa Daisuke (2007)




"Kashiwa Daisuke est né à Hiroshima et habite maintenant à Fukuoka. Il a appris la guitare lorsqu'il était jeune et a créé un groupe de rock progressif avant de lancer son projet solo en 2004. En solo son style est assez similaire à ce que font World's End Girlfriend ou Akira Kosemura c'est-à-dire une musique ambient electro qui mêle intimement instruments classiques et sonorités électroniques sous une forme très progressive." Program Music I est une oeuvre d'une heure composée de seulement deux morceaux : Stella et Write once, Run Melos, un disque pour le moins surprenant.

Début in medias res :
Si on prend Stella en cours, on aura le droit à des sonorités de classique avec une formation violon/violoncelle/piano et une voix enivrante qui conduit la chanson par petite touche. Et, en plus de cela, on aura divers effets électro des frises, des sonorités électroniques, une rythmique très instable. Puis une batterie rend la musique plus conventionnelle, la rythmique devient plus rapide. Les sons s’arrêtent et reprennent aléatoirement, de piano clochette ou du passage précédent enregistré en fond. C’est très surprenant de réentendre la session précédente dans ce nouveau passage : lutte et tristesse se confrontent alors. Puis cela devient très décousu et on passe à une nouvelle atmosphère qui mélange les précédents, puis ne laisse intervenir qu’un seul instrument à la fois durant seulement quelques secondes, instruments constamment bloqués dans leur élan. Daïsuke s’amuse avec tout ce qu’il a mis en place, en faisant intervenir de nouvelles sonorités, clarinette et tambour, puis la session devient plus rythmée, électro toujours saccadé bien que très rapide, allègre puis constant et  enthousiasmant.

Riche et surprenant, Daisuke met tout en œuvre, pour faire intervenir en nous tout un panel d’émotion, se servant de genres différents : jazz, classique, électro, ambient, rock ; il utilise aussi toutes les rythmiques des plus lentes au plus rapide allant jusqu’à la saccade.
A la manière d’un Aphex Twin, il n’y a que l’indépendance et le mélange qui priment : on entend le train au loin, puis le violon, cela fait aussi penser à A Silver Mount Zion, donc post-rock. Le temps est pris sur ce premier morceau de 35 minutes afin de nous dévoiler les aléas de la réalité, l’inconstance des émotions envoyées sont au diapason de la succession d’événement d’une vie. Contrebasse joue une note par ci par là, le piano en fait de même. Avec peu de notes, Daisuke fabrique beaucoup de sensations, des sensations puissantes, je ne pense pas qu’il soit possible de rester de marbre face à cette œuvre.

Write once, Run Melos : spectral et parasité, coupure, musique classique, puis coupures nombreuses et jazz, déconcertant, on tente tant bien que mal de se raccrocher aux structures plus constantes, aussi rares soient-elles, elles sont tout de même pour nous un moyen de souffler.
On est toujours dans la découverte, on ne peut cesser d’être surpris constamment face à ces atmosphères incroyablement changeantes. A peine s’habitue-t-on à un semblant de structure qu’il change trois fois. Revient, repart. Mais ce n’est pas fatiguant, car c’est souvent très harmonieux. Cela fait penser aux événements qui pourrait arriver lors de la fin d’un monde, où des musiciens de sensibilités différentes, jazz, rock, classique continueraient à jouer jusqu’à leur mort prochaine.

Forcément, les erreurs seraient nombreuses, la rigueur ne serait pas au rendez-vous, mais l’émotion en serait grandie. Jusqu’où pourront-ils continuer à jouer ? A quand la dernière note ? Il n’y a pas eu de concertation, l’heure est à l’improvisation. Malgré les bâtiments s’effondrant et la peur qui se lit dans les visages du public, la musique continue avançant inexorablement, des notes se tournant vers un futur plus favorable, vers une renaissance après l’apocalypse. Nos artistes préfèrent ne penser qu’à la musique, au risque de se laisser subjuguer par leur émotion, ce qui les empêcheraient de continuer.

C’est un discours optimiste et sain qui se profile, car les émotions sont métamorphosées en énergie positive par le biais de leur instrument. La communication n’est que musicale.

Et si la communication entre individu ne pouvait se faire que d’une seule manière ? Que la seule voix qui sortirait serait-celle des instruments ? Est-ce que cela donnerait quelque chose comme ce que nous propose ce titre ?

Espoir et chaleur tourbillonnant autour d’une peur et d’une colère cachées qu’à moitié mais tout à fait dans l'air du temps. Les sonorités bien qu’aléatoires sont d’une grande précision et d’une justesse bouleversante, malgré les frises bien trop présents pour une musique qui se voudrait parfaitement mélodieuse.  Le temps capricieux nous empêche de bien percevoir la musique jouée, mais on tente de rester au mieux concentré sur ce que nous proposent ces artistes qui vivent surement leurs dernières heures.

De quelle manière aimerions-nous placer nos dernières énergies ? Les musiciens l’ont choisi.

Constat grisant : leur plus belle œuvre naît juste avant leur mort, ce ne sera qu’au ciel qu’ils pourront jouir de leur popularité post-mortem. A se demander s’il ne faudrait pas être toujours proche de la mort, pour penser et créer art. Un moment où des émotions autant à leur paroxysme qu’incontrôlables naissent en nous et que l’on transfère dans l’œuvre en train d’être façonnée. En comparaison, dans un contexte différent les autres œuvres sembleraient bien fades, plus humaines et donc plus restreintes car limitées par des pressions sociales, nous empêchant de nous libérer complétement. Ce n’est que totalement libéré que l’artiste peut montrer ce dont il est capable.

Les dernières notes de piano ralentissent, l’album s’arrête.

Le caractère décousu et libre de ce texte est directement analogue aux caractéristiques de cette oeuvre mystique et indépendante. Kashiwa Daisuke a dû en vivre de belles pour fournir un travail de cette qualité, merci à lui.

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