vendredi 29 novembre 2013

Dune 1 de Frank Herbert (1965)




Frank Herbert en plus d’être un romancier et nouvelliste de Science-fiction américain est un psychanalyste Jungien et cela peut être facile à dire comme ça, mais ça se ressent vraiment dans ses textes. Sa formation de psychanalyste lui a donné les armes pour se différencier d’autres écrivains et développer son propre style d’écriture, un style très personnel et radicalement différent dans certains champs de ses récits.

Partons du champ si bien abordé par Herbert,  celui de la pensée. Il s’en sert tout le temps et de manière magnifique et fascinante. Pour simplifier, admettons que Dune soit composé de deux sous-ensembles s’entrelaçant : une partie récit et description et une partie dialogue. Cette dernière est un bijou qui permet de nous faire ressentir une grande palette d’émotion car magnifiée par les pensées extrêmement développées des protagonistes du dialogue en cours.
En fait chez Herbert, un dialogue correspond à 50% de paroles et 50% de pensées donc de non-dits et c’est grâce à ces non-dits qu’il joue avec nous. Car nous savons ce que pense les personnages, on sait quand ils mentent, quand ils savent que l’autre ment, quand ils mettent en place une stratégie pour tirer des informations de l’autre. Cette exploitation de la pensée offre des possibilités infinies de situations qui pourront entrainer chez nous des sentiments qui nous feront rentrer dans l’histoire sans nous laisser la possibilité d’en sortir, le texte nous absorbe complètement.

Cette méthode fonctionne d’autant plus, que le registre est soutenu et que l’atmosphère globale de l’œuvre est froide et très contrôlée. Aucun de ses personnages ne se laisse aller à l’émotion brute, à des actions irréfléchies car cela serait signe de faiblesse et cela signifierait le plus souvent la mise en danger d’autrui, tant chacun compte sur l’autre et donc tant les responsabilités sont grandes. Jamais on ne verra un individu qu’il soit jeune ou vieux se mettre à rire, s’il rit ce sera un rire intérieur qui se traduira par un aspect corporel extérieur minimaliste : un léger sourire par exemple. Ainsi donc, comme le flegme et la froideur sont omniprésents, ce sont les pensées qui remplacent les comportements spontanés, qui rendent les personnages tout simplement plus humains.

Prenons un exemple, un dialogue est en cours entre deux personnages représentants de deux clans bien différents, ils représentent à la fois l’image et les intérêts de leur civilisation. Le registre se veut donc soutenu, les paroles sont longuement préparées et analysés avant d’être déclarées. Vu de l’extérieur, on a l’échange audible entre deux chefs, mais sur le plan de l’esprit, nous lecteurs comprendrons qu’il y a une évolution dans la sympathie qu’à un protagoniste envers l’autre, et ceci est terriblement fascinant. Les deux personnages se jaugent, abordent des sujets pour piéger l’autre et voir comment il va s’en sortir, s’il s’en sort bien, c’est-à-dire soit d’une manière similaire à comment aurait réagi celui qui a tendu le piège, soit d’une manière surprenante, le testeur n’ayant pas envisagé cette possibilité, les personnages se rapprocheront. A la suite de cet échange, même s’ils ne le montrent pas, nos deux protagonistes ont une grande admiration l’un pour l’autre et sont sur la même longueur d’onde, la confiance, base de tout, a pu s’installer. Dans ce cas de figure on va se mettre à avoir de l’empathie pour les deux personnages et en plus, on se sentira comme privilégier d’avoir pu connaître ce qui se passaient dans leur tête. Leur amitié nouvelle ne correspond pas à deux personnes mais à trois car on a été inclus par l’auteur dans cet échange.

Admettons maintenant que l’échange se déroule de la même manière mais sans que la confiance s’installe, c’est-à-dire qu’au moins l’un des deux personnages aura été dans l’incapacité de lire entre les lignes pour comprendre que la confiance pouvait régner. Grâce aux pensées qui nous sont décrites par Herbert, on sait que les deux personnages partagent les mêmes intérêts, mais comme ils restent au stade de sous-entendus, l’échange et ses conséquences resteront superficiels voire décevants. Ce qui entrainera alors en nous la frustration, car on sait que c’est deux représentants pourraient s’allier et s’assurer pour eux et leur tribu un avenir meilleur, mais par une certaine pudeur, un flegme trop prononcé, rien n’aboutira.

Dernier exemple, l’échange se passe mal, les deux s’en rendent compte mais ne le montre pas ouvertement, seule une tension s’installe, on ressentira alors nous-même cette tension, on se prendra aux jeux de l’agressivité par la parole, grâce à des stratégies où chacun des deux personnages tentent de mettre mal à l’aise l’autre, vis-à-vis des autres individus présent à la table par exemple. Au lieu de défendre de manière directe par des arguments ses attentes, le personnage par le sous-entendu va faire que d’autres personnages se mettent dans son camp, c’est une guerre des nerfs où les coups bas visant à faire perdre le calme de l’interlocuteur  en face sont monnaies courantes.
Et dans ce dernier cas, la tension sera tellement palpable et les personnages ayant de mauvaises intentions seront tellement réduits à néant juste par le sous-entendu, que cela sera extrêmement jouissif pour nous. Encore plus d’ailleurs que si des arguments visant à faire perdre contenance avaient porté leurs fruits.


Pour moi cet aspect de la pensée, de l’analyse, du contrôle des émotions est l’aspect qui rend singulier le style d’écriture de Frank Herbert. A côté de cela, pour l’écriture de cette œuvre incroyable, on a six années de recherche et d’écriture de notre écrivain. Six années à en apprendre plus sur la vie dans le désert, ses conséquences pour les organismes vivants et ses phénomènes, ce qui engendre un récit très riche et réaliste.

Arrakis, planète où se déroule la trame est aride autant dans son climat que dans les échanges entre êtres humains. Y vivre étant tellement dur que la vie humaine perd de son importance et donc que la mort d’un être humain est vécue comme l’occasion d’obtenir un peu d’eau (le corps humain étant composé à 70% d’eau). Les descriptions des paysages ne sont pas très développées, il n’y en a jamais pour des pages et des pages, par contre elles sont très précises avec des mots bien choisis. Ceci améliore encore l’immersion dans ce monde.


Dernier point qui m’a beaucoup marqué, c’est qu’Herbert choisi la simplification et c’est une très bonne chose. On est dans un univers avec des vaisseaux spatiaux où le voyage de planète en planète est courant, composé d’armement extrêmement sophistiqué, bref de technologies très avancées et à côté de cela, les animaux, les végétaux, la nourriture sont souvent la même que dans notre monde à nous : ainsi ils boiront du vin, mangeront de la poule, verront des aigles dans le ciel etc… Ceci sont des points de repères très évocateurs pour nous rendant la trame peu compliquée à suivre mais qui ne nous empêche pas de nous immerger dans cet univers, car des langues ont été inventé, des classes, une nouvelle religion, des capacités extra-sensorielles font leur apparitions telle que la télépathie etc…

Dune 1 est une œuvre à lire, même un individu pas spécialement porté sur la science-fiction pourrait passer un très bon moment, car ça se lit très bien et la trame est particulièrement prenante. Le cycle de Dune comprend sept œuvres, mais on peut très bien s’arrêter à celle-ci, ce n’est pas vraiment gênant, bien sûr, si l’œuvre vous a particulièrement plu il est presque impossible de ne pas céder à la tentation de lire la suite, ce que je fais en ce moment.


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